Joy Rivault - Matrimoine Antiquité - Valorisation du Matrimoine Histoire et Archéologie de l’Antiquité
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Lumière sur les femmes

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À travers des anecdotes historiques, des portraits de personnages emblématiques et des épisodes mythologiques, je vous propose de suivre les destins de femmes, d’héroïnes de la mythologie et de déesses tout en leur redonnant la place qu’elles méritent dans l’histoire et dans les mythes.

La revanche de Méduse et de Gisèle

#Mytho, Pop culture

Dans la mythologie grecque, Méduse est l’une des trois Gorgones, des créatures monstrueuses et filles de divinités marines. Contrairement à ses sœurs, Sthéno et Euryale, Méduse n’est pas immortelle. Elle est traditionnellement représentée avec des serpents à la place des cheveux, et son regard a le pouvoir de transformer en pierre quiconque le croise.  C’est d’ailleurs de là que vient l’expression « être médusé », qui signifie être pétrifié de stupeur. Méduse est un personnage complexe et son mythe fait aujourd’hui l’objet d’une réinterprétation féministe mettant en lumière des thèmes liés au pouvoir, à la sexualité, et au traitement des femmes dans la société patriarcale. Je te raconte l’histoire … 

Représentations de Gorgones :  terre cuite du Parthénon, époque archaïque / amphore attique, 520-510 av. J.-C.

La métamorphose de Méduse : punition ou protection ?

Le mythe, comme les représentations de Méduse, ont évolué au fil des siècles. C’est la version du poète romain Ovide, dans ses Métamorphoses, qui est la plus populaire. Méduse était à l’origine une belle jeune fille qui servait la déesse Athéna en tant que prêtresse. Poséidon, le dieu de la mer, la remarqua et la viola dans le temple de la déesse. Athéna, furieuse de cet acte sacrilège, punit Méduse, accusée d’avoir souillé son temple. Elle la transforme ainsi en un monstre terrifiant aux cheveux de serpents et au regard meurtrier. 

Dans cette version du mythe, Méduse est souvent vue comme une victime de la violence masculine et des dérives du pouvoir patriarcal. Elle se fait violer par Poséidon, un dieu très puissant, mais c’est elle qui est punie par Athéna, une déesse qui représente une figure d’autorité liée au patriarcat et à l’ordre établi. La réaction d’Athéna renforce ainsi l’idée que la culpabilité et la honte sont injustement placées sur les femmes victimes de violence et que les femmes elles-mêmes peuvent être complices, voir actrices, de ces injustices.

La transformation de Méduse en une créature monstrueuse et hideuse, l’exact opposé de ce qu’elle était avant, est souvent interprétée comme une métaphore de la façon dont les femmes sont diabolisées pour leur sexualité et leur pouvoir. Exactement comme ce qui a été fait avec la figure de la sorcière. La société patriarcale a tendance à craindre et à réprimer la sexualité féminine, et Méduse est l’incarnation par excellence de cette peur. En faisant d’elle une créature monstrueuse, le mythe reflète une tentative de contenir et de contrôler la puissance des femmes perçues comme dangereuses.

N’oublions pas que ceux sont les hommes qui écrivent et racontent les histoires. Le mythe de Méduse n’a été réinterprété par une femme pour la première fois qu’en 1975, sous la plume de la féministe Hélène Cixous, dans Le rire de la Méduse. Une relecture s’impose donc, au regard de l’évolution de notre société. Il ne s’agit pas de réécrire le mythe, mais d’en proposer une autre interprétation. En effet, les mythes sont en constante évolution et plusieurs versions circulent depuis l’Antiquité. La lecture et la compréhension que nous avons de la mythologie sont liées au contexte de son énonciation et à notre propre perception de la société. Une lecture féministe du mythe de Méduse a donc, je crois, tout à fait sa place aux côtés des autres versions. 

Tête de Méduse : Thermes de Diocétien, I er -II e s. av.-J.C. / Le Caravage, vers 1600.

On peut donc aussi voir Méduse comme l’incarnation d’une figure de résistance : son regard mortel peut être interprété comme un symbole de la force et du pouvoir innés des femmes, une puissance qui, même réprimée ou déformée, reste redoutable. Méduse incarne également une forme de vengeance contre le patriarcat : son pouvoir de pétrification représente la capacité des femmes à repousser la violence masculine et à se défendre. Dans cette optique, on pourrait penser qu’Athéna, elle-même impuissante face au pouvoir des dieux, loin de punir Méduse, lui a au contraire donner des armes pour se protéger et se défendre contre les hommes. 

Le mythe de Persée, symbole de la domination masculine sur les femmes 

L’épisode le plus célèbre associé à Méduse est le moment où elle croise le chemin de Persée. Le héros est envoyé par le roi Polydectès pour tuer Méduse, tâche a priori impossible en raison du grand pouvoir de la Gorgone. Mais avec l’aide des dieux, Persée parvient à s’équiper et à mettre en place une stratégie redoutable : il reçoit des sandales ailées d’Hermès, un casque d’invisibilité d’Hadès, un bouclier réfléchissant d’Athéna, et une épée de Zeus. En utilisant le bouclier comme miroir pour éviter de croiser directement le regard de Méduse, Persée parvient à la décapiter. Le héros est alors célébré pour cette victoire et acclamé comme un sauveur dans toute la Grèce.

De la blessure de Méduse naissent deux créatures mythiques, Pégase le célèbre cheval ailé, et Chrysaor, un géant doré. Ils seraient les enfants de Méduse et de Poséidon. Persée conserve ensuite la tête de Méduse qu’il utilise comme une arme, car elle conserve le pouvoir de pétrifier. 

La décapitation de Méduse peut être vue comme un acte symbolique de viol et donc de domination. Il découpe sa tête, le siège de son pouvoir, la privant ainsi de son identité et de sa force. De plus, la manière dont Persée utilise la tête de Méduse après sa mort pour pétrifier ses ennemis souligne la façon dont son corps continue d’être exploité par les hommes même après sa mort. La Gorgone est dépossédée de tout ce qui la constitue, sa puissance et son corps, de son vivant comme dans la mort. 

Persée décapitant Méduse : Temple C de Sélinonte, 440-410 av. J.-C./ Sculpture de Benvenuto Cellini, 1545-1554

Le mythe traditionnel raconte qu’Athéna finit par demander à Persée de lui restituer la tête de Méduse, qu’elle intègre à son plastron. Il est alors destiné à semer la panique dans les rangs des ennemis, emblème pétrifiant de la mort qui les attend. C’est donc aussi un objet de protection pour ceux qui le portent, en l’occurrence la déesse Athéna. Ce symbole se nomme le Gorgoneion. On pourrait là encore, proposer une lecture féministe à travers ce geste. En ornant son égide avec la tête de Méduse, Athéna semble rendre hommage à la Gorgone et mettre en avant sa puissance. Inversement, Méduse devient la protectrice de la déesse, tout comme Athéna l’a été jadis en lui octroyant le pouvoir de pétrification. Dans cette version, c’est donc la sororité qui l’emporte. 

Méduse, un symbole de résistance et de pouvoir féminin 

Dans la culture féministe contemporaine, Méduse est donc l’incarnation de l’empowerment des femmes. Son image est ainsi régulièrement utilisée par des mouvements féministes et des artistes pour symboliser la lutte contre la violence sexuelle et l’injustice. Elle est devenue un emblème de la manière dont les femmes peuvent transformer la honte et la victimisation en force et en résistance.

Le mythe de Méduse revisité : par le sculpteur Luciano Garbati / dans le film Percy Jackson (interprétée par Uma Thhurman)

Le sculpteur Luciano Garbati (voir image ci-dessus) a ainsi proposé une nouvelle version du mythe en montrant Méduse tenant la tête de Persée dans une main et une épée dans l’autre. Les rôles sont ici inversés : la victime devient bourreau, la femme est alors actrice et victorieuse. Son regard exprime sa détermination et sa position témoigne de sa puissance.  La statue a été dévoilée en octobre 2020 à New York, en face de la Cour suprême de Manhattan, où des agresseurs comme Harvey Weinstein ont été jugés. Alors, Méduse est-elle devenue le symbole de #metoo et une icône féministe ? C’est discutable. Force est de constater que dans les représentations contemporaines de la Gorgone, on la montre souvent sous les traits d’une femme très belle, qui incarne tous les canons de beauté d’aujourd’hui (voir image ci-dessus). Il serait naïf de penser qu’il s’agit là d’une volonté de rappeler qu’avant sa métamorphose Méduse était une femme très belle et ainsi d’atténuer sa monstruosité. Je pense plutôt que cette beauté traduit le paradoxe de la perception que les hommes et la société ont des femmes. Comme les sorcières, Méduse, en tant que Gorgone, est une femme aux pouvoirs puissants. Elle est donc un objet de fascination, suscitant à la fois la peur et le désir. 

On fait le point : l’interprétation féministe du mythe de Méduse révèle donc les dynamiques de pouvoir et de genre qui traversent l’histoire, mettant en lumière la façon dont les récits mythologiques peuvent refléter et perpétuer les inégalités patriarcales. Violée par un homme de pouvoir, qui demeure intouchable, c’est la victime qui est punie et qui devient monstrueuse aux yeux de tous. Je trouve ce mythe incroyablement d’actualité et je crois que sa relecture est aussi tout à fait en phase avec l’évolution de notre société et le mouvement #metoo. En réinterprétant la figure de Méduse comme une héroïne détentrice de pouvoir plutôt que de peur, cette lecture féministe permet de redonner à la Gorgone sa dignité et de la percevoir comme une femme puissante et non plus comme un monstre. 

Son histoire fait écho à l’actualité : l’affaire de Gisèle Pelicot, récemment médiatisée, met en lumière cette violence sexuelle passée sous silence. Victime de viols orchestrés par son mari et d’une cinquantaine d’hommes, elle fait face aujourd’hui à ses agresseurs, cherchant justice dans un système souvent complice du patriarcat. Comme Méduse, son regard est pétrifiant, obligeant ses bourreaux à détourner le leur. Comme Méduse, elle se protège, non pas derrière une chevelure de serpents mais derrière de sombres lunettes, qui projettent le reflet des monstres qu’elle affronte, tout comme le bouclier de Persée qui projeta celui de Méduse… Comme Méduse, Gisèle incarne une résistance face à la violence masculine et à la stigmatisation des victimes. La honte change de camp et le visage des véritables monstres se dévoile enfin.

Image de présentation : Portrait de Méduse par @Annetteprs.

Affiche de soutien montrant le visage de Gisèle Pelicot par Aline Dessine