Joy Rivault - Matrimoine Antiquité - Valorisation du Matrimoine Histoire et Archéologie de l’Antiquité
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Lumière sur les femmes

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À travers des anecdotes historiques, des portraits de personnages emblématiques et des épisodes mythologiques, je vous propose de suivre les destins de femmes, d’héroïnes de la mythologie et de déesses tout en leur redonnant la place qu’elles méritent dans l’histoire et dans les mythes.

Pourquoi les femmes sont-elles comparées à des vipères ?

#Mytho, Pop culture, Sorcières

Depuis les profondeurs de la mythologie grecque, une image revient sans cesse, obsédante : celle de la femme-serpent. Qu’elles soient mi-femmes mi-serpents, comme Echidna ou les Lamies, ou qu’elles portent le serpent comme symbole de leur pouvoir, comme Méduse, Hécate ou Médée, ces créatures incarnent une force ancienne, mystérieuse, inquiétante aussi. Elles symbolisent la féminité sauvage, indomptable, archaïque et profondément subversive. Le serpent devient leur alter ego : créature profondément liée à la terre et au savoir interdit. Toutes ont un point commun : elles représentent une puissance féminine que les récits veulent contrôler, punir ou éliminer.  Ferme les yeux, je te raconte l’histoire…

Tête de Méduse, mosaïque du Ier– IIe siècle, Thermes de Dioclétien, Rome 

Le serpent, gardien de la terre et du savoir 

Le mythe du sanctuaire de Delphes

Le serpent, dans l’imaginaire antique, est lié à la terre, aux profondeurs, à la régénération. Il sait muer. Il garde les secrets. Dans les premiers récits oraculaires, il est associé à Gaïa, déesse primordiale de la Terre. Le grand serpent Python, par exemple, veillait sur l’oracle de Delphes avant d’être tué par Apollon, qui impose alors un ordre nouveau, masculin, lumineux. Mais cette violence originelle dit tout : pour que le dieu puisse parler, il faut d’abord faire taire le serpent, ou plutôt, la serpente. Car dans certaines traditions, Python était une entité féminine qui incarnait un pouvoir prophétique ancien, non rationnel et profondément organique.

Des figures féminines monstrueuses à dominer

Une menace pour l’ordre masculin

De nombreuses créatures féminines de la mythologie grecque conservent cette charge reptilienne. Méduse, bien sûr, aux cheveux de serpents et au regard pétrifiant : une autre manière de dire qu’elle voit au-delà, qu’elle connaît, qu’elle révèle. Avant d’être transformée en monstre, elle était pourtant une jeune femme ravissante, avant d’être violée par le dieu Poséidon dans un temple de la déesse Athéna. Son corps monstrueux n’est donc pas d’origine : c’est une punition de la part d’Athéna. Une interprétation féministe de ce mythe propose une autre lecture : Athéna aurait transformé Méduse non pas pour la punir mais au contraire pour la protéger des violences masculines. Cette métamorphose, porterait en elle la honte du viol, la colère des dieux, et l’injustice faite aux femmes. Quant à son meurtre, il s’agirait d’un rite de purification pour un monde qui ne supporte pas le regard d’une femme libre : en tuant Méduse, le héros rétablit l’ordre en dominant la puissance destructrice de la femmes insoumise. 

Il y a aussi Echidna, redoutable créature mi-femme mi-serpent, compagne de Typhon et mère de tous les monstres. Sphinx, Chimère, Cerbère, Hydre de Lerne : tous sortent de son ventre. Elle incarne la matrice du chaos, la puissance créatrice et destructrice à la fois. Et comme toujours, elle est reléguée au rang de menace qu’il faut éliminer. Héraclès et les autres héros s’en donne à coeur joie…

Même sort pour les Lamies, ces femmes transformées en monstres après avoir été punies par la déesse Héra. A l’origine, Lamia aurait été, selon certaines traditions, une amante de Zeus. Son épouse Héra, folle de jalousie, la punit en lui enlevant ses enfants. Lamia devient folle de douleur, transformée en créature rampante. C’est encore une fois la femme qui est punie. Les Lamies dévorent les enfants, selon les récits, mais en réalité, elles incarnent la douleur d’une maternité brisée, d’un féminin rendu monstrueux par vengeance divine.

Les créatures serpentines ne sont pas l’apanage de la mythologie grecque. Mélusine, apparue au XIVe siècle, est ainsi décrite comme une femme magnifique… sauf le samedi, jour où elle redevient partiellement serpent ou dragon. Mi-femme, mi-bête, elle incarne une féminité féconde et magique, liée à l’eau, aux cycles, au mystère. Elle fonde des lignées, construit des châteaux, transmet un pouvoir. Mais ce pouvoir repose sur une seule condition : le secret. Quand son mari viole cette règle et la surprend dans sa forme serpentine, elle est maudite, condamnée à errer pour l’éternité. Là encore, ce n’est pas la monstruosité qui la détruit, c’est le regard masculin sur son corps hybride. 

On retrouve aussi cette logique dans les récits des sirènes médiévales, parfois décrites non pas avec une queue de poisson, mais avec un corps de serpent, voire deux queues qu’elles écartent de manière provocante, symbole d’une sexualité incontrôlable et diabolique. C’est aussi le symbole de Starbucks, invitant aux voyages maritimes et légendaires mais aussi à la consommation, le client étant attiré par le charme séducteur de la fameuse sirène… Le serpent médiéval se fait donc moins animal que symbolique. Il se loge dans la langue, dans la sexualité, dans le soupçon permanent porté sur les femmes qui savent ou séduisent.

Magie et savoirs occultes

La puissance des sorcières

Et puis il y a les magiciennes. Médée, bien sûr, héritière de cette lignée chthonienne, petite-fille d’Hélios, nièce de Circé, prêtresse d’Hécate. Elle connaît les plantes et les poisons. Dans l’iconographie, elle est parfois entourée de reptiles, ses philtres sont venimeux, son savoir dangereux. Quand elle s’enfuit après avoir tué ses enfants, son char est tiré par deux serpents géants ailés : les dragons antiques. Ce n’est pas une fuite : c’est une ascension.

Quant à la déesse Hécate, elle est sans doute la plus ancienne des déesses serpentines. Déesse des carrefours, de la nuit, des morts et de la magie, elle règne sur les marges et les souterrains. On la représente souvent avec des serpents enroulés autour de ses bras, des torches à la main, accompagnée de chiens. Elle n’a pas été renversée, elle. Elle reste, dans l’ombre, puissante et souveraine.

Médée sur son char, vase à figures rouges, Musée d’art de Cleveland

Les femmes d’hier à aujourd’hui

toutes des vipères ?

Dans l’imaginaire collectif, le serpent reste un animal associé au féminin, symbole d’une femme jugée venimeuse, manipulatrice et dangereuse. Le vocabulaire courant parle de « vipère », de « langue de serpent », de « femme perfide ». C’est la même logique que dans l’Antiquité : l’intelligence féminine qui sait et qui parle est rendue suspecte.

Certaines figures publiques l’ont d’ailleurs expérimenté récemment. Hillary Clinton a souvent été comparée à une vipère froide et même représentée sous les traits de Méduse dans les médias américains. Dans l’univers de la pop culture, Taylor Swift, dans son clip Look What You Made Me Do, s’auto-représente entourée de serpents, récupérant avec ironie l’insulte que des fans de Kanye West lui avait lancée à répétition sur les réseaux sociaux. Elle récupère ce symbole fort pour l’incarner de toute sa puissance. C’est ce que fait également Rihanna, en posant sur la couverture du magazine GQ en 2013, représentée en Méduse. Nue, coiffée de véritables serpents, elle incarne l’icône féministe qu’est devenue Méduse aujourd’hui : une femme belle, libre, puissante, bien loin du monstre dépeint par les sources antiques. 

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : reprendre le pouvoir sur ces images. Méduse n’est plus seulement une victime ou un monstre, elle est aujourd’hui une icône féministe. Le serpent n’est plus une insulte mais devient un totem. Une revanche symbolique sur des siècles de récits qui ont tenté de faire taire la voix des femmes et d’étouffer leur puissance. 

 

Taylor Swift, Reputation Stadium Tour, Century Link Field (Seattle), 22 mai 2018

Couverture du magazine GQ, 2013

À travers la figure du serpent, la mythologie grecque a projeté toutes ses peurs autour du féminin : peur du corps, peur du savoir, peur de la puissance sans maître. Qu’il rampe dans les grottes, qu’il se torde dans les cheveux de Méduse ou qu’il tire le char de Médée, le serpent dit quelque chose de fondamental : il incarne un féminin qui échappe au contrôle des hommes.

Trop sage, trop fertile, trop dangereuse, trop insoumise, les femmes-serpents dérangent parce qu’elles ne se laissent pas dompter. Elles sont la métaphore vivante d’un pouvoir archaïque, rebelle, fluide, qui ne rentre pas dans les cases. Un pouvoir que les mythes ont tenté d’écraser, que les héros ont voulu tuer, que l’histoire a cherché à effacer.

Mais elles reviennent. Encore. Toujours. Et aujourd’hui, dans les insultes qu’on recycle, les caricatures qu’on diffuse, les images qu’on retourne contre elles, elles glissent à nouveau dans le langage. On pense les réduire, elles se transforment. On les traite de monstres, elles deviennent des icônes.

Image de présentation : Méduse d’après Flaroh Illustration.