Fresque de Pompéi : Hermaphrodite assis, un satyre approchant derrière lui et une ménade lui tendant un filtre d’amour.
La sorcellerie dans l’Antiquité
Miroir des perceptions sociales
Dans l’Antiquité, la sorcellerie était un concept qui englobait des pratiques variées, allant des rites bénéfiques à ceux jugés destructeurs. Les Grecs distinguaient la mageia, magie générale, de la goetia, magie perçue comme malveillante. À Rome, on parlait de maleficium pour désigner les pratiques nuisibles.
Les mythes, d’Homère à Ovide, regorgent de récits où la magie fascine autant qu’elle effraie. Ces histoires témoignent d’une ambivalence profonde : la sorcellerie y est tour à tour outil de transgression, arme de vengeance ou source de protection. Elle défie les lois naturelles, mais interroge aussi sur les limites imposées aux individus, en particulier aux femmes.
La magie n’appartenait pas qu’aux récits épiques. Dans la vie quotidienne, les pratiques magiques étaient omniprésentes, de la protection des foyers à la quête d’amour. Les Papyri grecs magiques, des textes datant du Ier au IVe siècle, offrent un aperçu des rituels, des sorts et des invocations utilisés par les femmes et les hommes de l’époque.
Les guérisseuses et sages-femmes jouaient un rôle clé, en particulier dans les sphères domestiques. Si leur savoir était respecté, leur position était précaire : un échec ou un malheur pouvait les faire basculer du statut de guérisseuse à celui de sorcière. Ce double regard – admiration et crainte – reflète les tensions autour du pouvoir féminin dans ces sociétés patriarcales.
La répression de la sorcellerie
Quand la peur devient loi
La peur de la magie nuisible était si ancrée que des lois furent créées pour la contrôler. À Rome, la Loi des Douze Tables incluait déjà des dispositions contre l’empoisonnement et la magie malveillante. Sous les empereurs comme Auguste ou Néron, des procès pour sorcellerie visèrent à réprimer les pratiques occultes perçues comme des menaces pour l’ordre social.
Ces législations montrent que la magie était bien plus qu’une simple crainte superstitieuse : elle incarnait un danger potentiel pour la structure sociale et les rapports de pouvoir. Réprimer la sorcellerie revenait à contrôler les femmes et les individus marginalisés, en les renvoyant à des normes plus acceptables.
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Quelques idées de sorts et d’incantations
Dans l’Antiquité, les pratiques magiques faisaient partie intégrante de la vie quotidienne. Elles allaient des sorts protecteurs aux invocations divines, en passant par les charmes d’amour ou de fertilité.
> Les sorts protecteurs pour éloigner le mauvais oeil ou les maladies : invocations (via des amulettes par exemple) de divinités protectrices comme Hécate. Déesse associée à la magie, elle était fréquemment appelée pour protéger un foyer. Un rituel pouvait inclure une offrande de nourriture à une croisée de chemins, un lieu sacré pour Hécate.
> Les sorts d’amour : les charmes d’amour et les philtres étaient parmi les plus populaires. Des formules d’attirance était proférées, associées avec un objet personnel de la personne ciblée (comme une mèche de cheveux). On pouvait aussi utiliser des philtres d’amour, qui contenaient des ingrédients symboliques comme du miel (douceur et union) ou du sang menstruel (puissance féminine). Ces mélanges étaient consommés ou versés sur un autel dédié à une divinité de l’amour.
> Les sorts de malédiction : ils servaient à nuire à des ennemis, que ce soit dans le cadre d’un procès, d’une rivalité amoureuse ou d’une compétition sportive. Les tablettes de malédiction (defixiones) étaient gravées sur du plomb et appelaient des divinités infernales comme Hadès ou Perséphone. Elles étaient enterrées dans des tombes ou des puits pour que les esprits les transmettent.
> La magie curative : les guérisseuses et guérisseurs recouraient à des herbes et des incantations pour soigner. L’ail, le laurier et la myrrhe étaient souvent employés dans des préparations magiques et médicinales, avec une incantation pour en augmenter la puissance. On pouvait également invoquer des divinités guérisseuses (comme Apollon, Asclépios ou Hygie) et consommer une potion sacrée.
Figurine d’envoûtement, Egypte, IIIe-IVe siècle apr. J.-C. (Musée du Louvre)
Portraits de sorcières antiques
savantes, puissantes, effrayantes
L’Antiquité a donné naissance à des figures de sorcières emblématiques, chacune symbolisant un aspect différent du pouvoir féminin.
Circé
La magicienne la plus célèbre de la mythologie grecque, apparaît dans L’Odyssée d’Homère (chant X), où elle pratique des arts magiques, notamment la transformation des hommes en animaux.
L’épisode clé de son histoire se déroule lorsque Ulysse, le héros de l’Odyssée, et son équipage abordent son île. Circé, d’abord accueillante, utilise une potion magique pour transformer les compagnons d’Ulysse en porcs. Grâce à l’intervention du dieu Hermès, Ulysse parvient à résister et à la contraindre à annuler le sort. Plutôt que de punir Ulysse, Circé le prend sous son aile. Elle l’héberge et lui prodigue des conseils pour la suite de son voyage, notamment sur les dangers qu’il devra affronter, comme les sirènes et Scylla.
Le pouvoir de Circé est lié à des potions et des herbes. Souvent dépeinte comme une femme fatale et manipulatrice à cause du pouvoir qu’elle exerce sur les hommes, elle est en fait doté d’une sagesse divine qui les aide à avancer dans leur quête. Sa sorcellerie est le reflet de son indépendance et de son autorité.
Médée
Nièce de Circé, elle incarne la sorcière tragique. Elle utilise ses savoirs pour aider Jason et les Argonautes dans leur quête du Toison d’or. Amoureuse du héros, elle l’aide à accomplir des tâches impossibles, comme vaincre le dragon qui garde la toison. Dans ce récit, elle incarne l’archétype de la femme passionnée et dévouée, prête à tout pour l’homme qu’elle aime.
Maîtresse des potions et des enchantements, elle est aussi marquée par la vengeance et la douleur. Sa décision de tuer ses propres enfants pour punir Jason (dans la version de l’auteur tragique Euripide), son époux infidèle, en fait une figure ambivalente : une femme puissante mais dangereuse, brisant les cadres moraux de son époque.
Les striges
À Rome, ces figures féminines nocturnes associées à la sorcellerie, alimentent les peurs populaires.
Selon la légende, les striges étaient des femmes qui se transformaient en oiseaux nocturnes, semblables à des chouettes, et qui se nourrissaient de chair humaine, en particulier celle des enfants. Elles étaient redoutées pour leur capacité à voler et à attaquer leurs victimes pendant la nuit, ce qui faisait d’elles des symboles de la peur du surnaturel et des dangers invisibles.
L’origine des striges remonte à des croyances très anciennes. Dans la mythologie romaine, elles sont souvent décrites comme des créatures malfaisantes qui hantaient les campagnes et les foyers. Leurs actions étaient perçues comme des menaces contre les enfants, la maternité et l’ordre domestique. Les striges sont parfois associées à des déesses comme Lamia ou Hécate, des figures de sorcières qui possédaient des pouvoirs surnaturels.
On fait le point : les sorcières de l’Antiquité nous rappellent que la magie est bien plus qu’un simple art occulte. C’est un miroir des sociétés qui la pratiquent, révélant leurs peurs, leurs croyances et leurs tensions sociales. En étudiant ces figures mystérieuses, nous découvrons des aspects fascinants de la culture antique et des échos qui résonnent encore dans notre imaginaire collectif aujourd’hui. Que ce soit à travers les mythes de Circé et Médée ou les lois romaines contre la sorcellerie, l’Antiquité nous offre une perspective unique sur le rôle complexe des femmes et de la magie dans l’histoire.
Les perceptions antiques de la sorcellerie ont laissé un héritage durable qui a influencé les conceptions médiévales et modernes des sorcières. Les textes et les idées de l’Antiquité ont été transmis à travers le Moyen Âge et redécouverts à la Renaissance, contribuant à façonner l’image de la sorcière qui serait plus tard au cœur des procès en sorcellerie en Europe. Cette continuité des stéréotypes montre comment les peurs et les superstitions liées à la sorcellerie ont évolué, mais ont aussi persisté à travers les siècles. Aujourd’hui encore, l’image de la sorcière est un puissant symbole de la peur de l’inconnu et du pouvoir des femmes, un rappel des défis que ces dernières ont affrontés et continuent d’affronter.
Image de présentation : Circe The Sorceress, John William Waterhouse
Portraits de sorcières : Circe, John William Waterhouse ; Médée, Frederick Sandys ; Les striges, Notre-Dame de Paris, Eugène Viollet-Le-Duc.


