Joy Rivault - Matrimoine Antiquité - Valorisation du Matrimoine Histoire et Archéologie de l’Antiquité
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Lumière sur les femmes

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À travers des anecdotes historiques, des portraits de personnages emblématiques et des épisodes mythologiques, je vous propose de suivre les destins de femmes, d’héroïnes de la mythologie et de déesses tout en leur redonnant la place qu’elles méritent dans l’histoire et dans les mythes.

Le nu dans l’art grec

corps

Cela ne t’as certainement pas échappé, quand tu visites un musée et que tu admires des œuvres antiques, que ce qui frappe au premier abord, qui attire l’œil de l’observateur contemporain, c’est le dévoilement du corps. Mais attention, pas n’importe quel corps ! L’art grec, et en particulier la sculpture, met en scène des hommes et des femmes à la plastique parfaite. Suis-moi, je te raconte l’histoire …

Le discobole ( lanceur de disque ), copie romaine d’après l’originale de Myron, British Museum

Avant de commencer ta visite, il faut savoir que les œuvres originales grecques sont assez rares aujourd’hui. La plupart des statues que l’on trouve dans les musées sont des copies sculptées par les Romains d’après les originaux grecs. Ces copies sont en marbre et nous les voyons aujourd’hui blanches alors qu’elles étaient toutes peintes dans l’Antiquité. Les originaux étaient quant à eux plus souvent en bronze qu’en pierre. Malheureusement, la plupart ont été fondus pour fabriquer des armes et de la monnaie. 

La nudité dans la sculpture grecque

Des corps masculins idéalisés

La nudité est une caractéristique du mode de vie des Grecs mais il faut bien se rendre compte que cela ne concerne que les hommes. Contrairement à nos sociétés modernes, il n’y avait ni gène ni pudeur à se montrer nu dans la Grèce antique. Même en dehors du domaine purement artistique, les hommes exhibent fièrement leur nudité, puisqu’elle incarne l’accomplissement physique et intellectuel du citoyen (qu’illustre le célèbre proverbe : « un esprit sain dans un corps sain »). Le sport occupe une place fondamentale dans l’éducation des garçons. D’ailleurs, étymologiquement, le gymnase est le lieu où l’on doit se dévêtir (gymnos en grec signifie « nu »). En Grèce, on pratiquait donc le sport entièrement nu (seuls les hommes faisaient du sport, à de rares exceptions près). Les statues grecques de nu montrent ainsi généralement des athlètes

Le sport est donc le quotidien des citoyens grecs qui évoluent dans une sphère masculine où la nudité des corps est omniprésente. On admirait la beauté du corps athlétique aussi bien dans la vraie vie que dans l’art. À partir de l’époque classique, les sculptures sont plus réalistes, mais elles n’en restent pas moins idéalisées. Les artistes veulent représenter un idéal de beauté à l’image des héros mythiques et des dieux grecs. On n’y voit que des jeunes hommes, les éphèbes, au corps musclé comme le célèbre discobole (voir photo ci-dessus) : c’est ce que l’on appelle la « nudité athlétique » ou « héroïque ».

Les hommes sont ainsi représentés toujours jeunes, athlétiques et sans poils (à l’exception du pubis). Les poils sur les aisselles et le torse sont réservés aux statues de faunes ou de satyres, afin de rappeler l’animalité de ces créatures mythologiques. Ces êtres hybrides peuvent aussi être représentés avec un pénis à la taille démesurée et en érection (que l’on qualifie alors d’ithyphallique), symbole de luxure et de leur instinct animal. Au contraire, les hommes sont présentés dans la statuaire avec des sexes très petits, ce qui montre qu’ils savent maîtriser leur instinct et donc qu’ils s’élèvent moralement. 

Un traitement inégal des corps féminins

Couvrez ce corps … 

Ce qu’il est intéressant de remarquer c’est que selon leur genre, les corps nus ne sont pas traités de la même manière dans l’art grec. Alors que les hommes sont montrés dans leurs plus simple appareil, les femmes sont quant à elles toujours représentées habillées. 

Avec le style maniériste, les corps féminins sont aussi exposés aux regards mais tout en restant couverts. Le vêtement dévoile plus le corps qu’il ne le cache, comme le montre la technique du drapé mouillé, illustré par la sublime et célébrissime Victoire de Samothrace (voir photo ci-dessous). Le vêtement est si fin qu’il est transparent. On peut voir avec précision toutes les courbes du corps de la déesse et même son nombril !

Satyre ithyphallique, bronze, VIe siècle av. J.-C.,  Musée archéologique d’Athènes

Victoire de Samothrace, 200-185 av. J.-C. Musée du Louvre 

C’est le célèbre sculpteur Praxitèle, vers 350 av. J.-C., qui le premier va oser représenter une femme entièrement nue. Il s’agit de l’Aphrodite de Cnide. C’est sa maîtresse, la courtisane Phrynè, qui lui aurait servi de modèle. Si la démarche peut sembler choquante pour l’époque, il faut noter qu’Aphrodite est la déesse grecque de la beauté et de l’amour érotique et en tant que telle, c’est son corps qui lui sert d’attribut. Elle est mise en scène tout de même avec une certaine pudeur, qui n’incombe pas aux statues masculines, puisqu’elle cache son sexe. Les seules femmes représentées dénudées dans la statuaire grecque sont donc des déesses, en particulier Aphrodite. 

Aphrodite du Capitole,
IIe s. av. J.-C.,

L’Aphrodite de Cnide de Praxitèle est à l’origine d’une série de statues montrant la déesse nue, ou en partie dénudée, dans différentes postures. C’est à partir de ce moment-là que le corps féminin sera traité dans une sensualité libérée. Les Romains reproduiront en grand nombre ces types d’Aphrodite. C’est le thème de la pudeur alarmée qui est mis en avant sur cette statue : une main couvre le sexe tandis que l’autre s’apprête à cacher les seins (qui restent cependant découverts). La déesse a les genoux serrés et le buste légèrement penché en avant. Elle regarde en direction du trouble qu’il l’a poussée instinctivement à se cacher. Sa coiffure, très sophistiquée, est le seul ornement de la déesse. Si la nudité féminine est ici bien représentée et clairement mise en scène, la pudeur reste de mise, même pour la déesse de l’amour érotique. On ne montre pas tout, contrairement au corps masculin qui se dévoile toujours dans son entièreté. 

Tu peux également observer, en regardant de plus près les œuvres antiques, que le sexe masculin est représenté avec réalisme (en dehors des proportions qui sont volontairement réduites ou exagérées) alors que le sexe féminin est montré toujours lisse, sans lèvres ni clitoris (quand il n’est pas entièrement caché). Si le premier incarne un idéal, le second est synonyme d’obscénité. 

C’est donc la nudité masculine qui est valorisée et privilégiée dans l’art grec. Cette virilité suffit ainsi à susciter l’admiration et le désir. L’érotisme féminin doit en revanche être représenté autrement. Ce sont les accessoires qui rehaussent la beauté féminine : la tunique tombante, les drapés mouillés, les bijoux, les sandales… 

On fait le point : les corps ont été traités de manières différentes tout au long de l’évolution de l’art grec. Le corps masculin a fait l’objet d’une étude anatomique affinée par une recherche d’équilibre et de proportions, tandis que le corps féminin a été représenté à travers le vêtement et l’évolution du drapé. Les représentations des corps dans l’art grec symbolisent ainsi des rôles codifiés, témoins d’une idéologie et d’une morale qui imprègne encore notre société moderne. La nudité de la femme est provocante et déplacée, elle doit être cachée ou suggérée ; celle de l’homme est admirable, symbole de sa puissance, elle est donc exhibée. 

Le nu est ainsi réservé, aussi bien dans l’art que dans la société, aux hommes, l’apologie du corps masculin étant le reflet d’un monde où les femmes doivent rester en retrait, voir cachées. Il y a en revanche un point commun entre les deux : la sculpture grecque représente toujours des corps idéalisés, proches de la perfection car les artistes veulent représenter un idéal de beauté à l’image des divinités grecques. 

Image de présentation : Salle des Cariatides, Musée du Louvre.